Les mécanismes des marchés carbone et le financement des pertes et préjudices subis par les pays en développement demeurent incontestablement dans le collimateur des pays africains, qui participent en bloc, à Madrid, aux négociations de l’ONU sur les changements climatiques qui se déroulent du 2 au 13 décembre 2019.
Dans une interview accordée à la TAP, le porte-parole du groupe des négociateurs africains, Seyni Nafo, décrypte les principales attentes des pays africains durant cette 25e session de la Conférence des Parties sur le climat qui se tient actuellement à Madrid (COP25).
Quels sont les enjeux des pays africains à la COP 25 ?
Nous avons actuellement deux questions que nous surveillons de très près. Il s’agit des mécanismes de marché carbone et du système des pertes et préjudices prévus respectivement par les articles 6 et 8 de l’accord de Paris.
L’article 6 dont les modalités et lignes directrices n’ont pas pu être adoptées lors de la COP 24 prévoit un mécanisme d’échange de droits d’émissions de Gaz à effet de serre (GES) entre les pays (Ces droits à polluer ont pour objectif d’aider les pays industrialisés à atteindre plus facilement leurs objectifs globaux de réduction d’émissions de GES, en aidant des projets d’investissements propres dans des pays en développement).
Auparavant, sous le protocole de Kyoto, seuls les pays du Nord étaient en mesure d’acheter un crédit carbone. Aujourd’hui, avec l’article 6 de l’accord de Paris, un pays en développement peut très bien l’acquérir auprès d’un pays industrialisé.
D’où l’importance de mettre en place un système transparent et élaborer des règles robustes à même d’encadrer ces mécanismes et éviter ainsi le double comptage. Nous devons garantir qu’une tonne de CO2 vendue correspond bien à une tonne de CO2, réduite.
Le groupe africain réclame aussi de rétablir le prélèvement systématique sur tous les mécanismes de marché pour financer l’adaptation aux changements climatiques en Afrique comme le stipulait le protocole de Kyoto.
La question liée à la gouvernance est également capitale pour nous. La communauté internationale et les Nations unies sont appelées à superviser les marchés carbone. Cette question demeure une ligne rouge pour nous.
Cet article continue encore à diviser les pays durant ces négociations. Certains Etats du Nord veulent une certaine flexibilité en termes de circonstances nationales, comme l’Australie ou la Nouvelle Zélande qui veulent que leurs efforts de réduction dans le secteur de la foresterie soient pris en considération. Chaque pays veut négocier les règles conformément à ses circonstances nationales. C’est devenu un business.
Et qu’en est-il du mécanisme des pertes et préjudices ?
Le mécanisme international de Varsovie qui permet de remédier aux préjudices liés aux incidences de changements climatiques est doté d’un comité exécutif relevant de la conférence des parties et agissant sous sa direction, pour superviser l’exécution des fonctions.
A ce jour, ce comité qui est censé aider les pays en développement n’est pas opérationnel, dans la mesure où il manque de ressources financières nécessaires pour exercer ses activités qui sont restées «aériennes » et qui n’ont pu être intégrées dans les plans des pays.
Il faut signaler également que les pays développés, comme les Etats-Unis et l’Europe, font preuve de résistance face à ce mécanisme qu’ils considèrent comme coûteux.
Après l’annonce des Etats-Unis de leur retrait de l’accord de Paris, pensez-vous que la promesse d’accorder, à partir de 2020, 100 milliards de dollars aux pays du Sud peut toujours être concrétisée ?
Si les Etats-Unis devaient se retirer officiellement, il y aurait de fortes chances qu’on n’atteindrait pas les 100 milliards de dollars. Cela constitue un risque très important pour les pays africains. Il ne faut pas oublier que ce pays reste le premier contributeur au Fonds vert pour le climat. En 2014, la capitalisation de ce fonds était à hauteur de 10,3 milliards de dollars, dont 3 milliards étaient mobilisés par les Etats-Unis, ce qui représente 33%.
Cinq ans après l’accord de Paris, l’alarme sur l’urgence climatique a été sonnée et malgré ça le Fonds Vert pour le climat ne dispose que de 9 milliards de dollars.
TAP